Commentaires du dialogue entre Lucrèce et Posidonius

Le dialogue

Que pensez-vous de cette joute verbale ? N'est-elle pas riche d'enseignements ? D'un côté Lucrèce, fervent défenseur d'une vision matérialiste ("Quoi ! vous ne voulez pas convenir que les atomes se sont arrangés d'eux-mêmes de façon qu'ils ont produit cet univers ?"), et de l'autre, Posidonius, fervent partisan de l'existence d'un être suprême ("Mais qui donc aura fait le monde ?" interroge Lucrèce. "Un être intelligent, plus supérieur au monde et à moi que je ne le suis au cuivre dont j'ai composé ma sphère. " répond Posidonius).

Lequel de ces deux personnages vous a séduit le plus, ami lecteur ? Lequel retient le plus votre attention ? Et Voltaire lui-même, pour qui balance-t-il ?

Voyons quelques points soulevés par ce débat.

Il est remarquable que Lucrèce, bien avant Darwin, imagine que les êtres vivants puissent être issus d'une longue évolution de la nature ("Il faut des millions de siècles pour que la nature, ayant passé par toutes les formes possibles, arrive enfin à la seule qui puisse produire des êtres vivants. "). De plus le passage par toutes les formes possibles fait penser aux mutations aléatoires qui seraient capables, selon la théorie synthétique de l'évolution (celle qui prend en compte les dernières avancées de la génétique), de transformer une espèce en une autre. Etonnante coïncidence. Deux époques, même hypothèse.

Mais n'êtes-vous pas également sensible à l'argument de Posidonius qui répond à Lucrèce que le vivant ne peut naître de matériaux non vivants ("Vous aurez beau remuer dans un tonneau pendant toute votre vie, tous les matériaux de la terre mêlés ensemble, vous n'en tirerez pas seulement une figure régulière; vous ne produirez rien." et ce, quelque soit la durée de l'expérience ("Ce qu'un siècle n'a pas fait, pourquoi plusieurs siècles pourraient-il le faire ?"). De la même manière, est-il raisonnable de croire qu'en laissant mijoter de la terre et de l'eau pendant des milliers d'années, un être vivant en ressortira ?

Un autre fait remarquable est que Lucrèce, au contraire de Posidonius, ne croit pas à l'existence d'une finalité dans l'Univers ("Ne prenez-vous point pour un dessein ce qui n'est qu'une existence nécessaire ? Ne prenez-vous point pour une fin ce qui n'est qu'un usage que nous faisons des choses qui existent ?"). La réalité sous-entendue par Posidonius est que tous les éléments de l'Univers ont une fonction bien précise et que leur présence ne doit rien au hasard. Comment en effet ne pas voir une finalité par exemple dans le soleil qui est la source première et vitale de toutes les énergies sur Terre ? Dans la couche d'ozone qui nous protège des rayons ultraviolets nocifs ? Dans les organes aux fonctions bien précises ? Dans l'oxygène de l'air ? Dans notre fabuleux cerveau aux mille fonctions ? La liste est infinie.

Posidonius nous donne des précisions sur l'intelligence supérieure qui régit l'univers, intelligence dont l'existence ne lui fait aucun doute ("Les desseins de cette intelligence supérieure éclatent de toutes parts, et vous devez les apercevoir dans un brin d'herbe comme dans le cours des astres."). Cette intelligence dépasse l'entendement humain ("C'est précisément parce que cet Être suprême existe, que sa nature doit être incompréhensible"). Nul ne peut en saisir le mécanisme et sa nature ("Nous devons admettre qu'il est, sans savoir ce qu'il est, et comment il opère.").

Pour quelles raisons Voltaire a-t-il imaginé ce dialogue ? Ne nous montre-t-il pas là - par des arguments de bon sens - la  preuve de l'existence d'une intelligence à l'origine de toute chose dans l'univers (et ceci, sans même parler de Dieu ou de religions) ?
Et vous, amis lecteurs, que pensez-vous et que retenez-vous de ce dialogue ?