Pourquoi Jésus lave-t-il les pieds de ses amis ?
Le Jeudi saint est l'occasion de faire mémoire de l'institution de l'Eucharistie
et, par la célébration de cette Eucharistie, de l'institution du
ministère sacerdotal. Or, l'évangile qui est au cœur de la liturgie est
une parabole en acte, un geste concret quoique répugnant pour
certains : le lavement des pieds. Jésus
lave les pieds de ses disciples. C'est la manière pour l'évangéliste
Jean (13, 2-15), mais aussi pour l'Église, de donner la clé et de
l'Eucharistie et du ministère. Jésus montre ce que le culte cherche à
exprimer, à savoir l'amour jusqu'à l'extrême, la génuflexion devant le
Sacrement saint du frère premier servi. Par son comportement, Jésus
nous apprend comment être proches concrètement des autres dans tous les
aléas de la vie. On ne rencontre son prochain qu'en abaissant son regard à hauteur de pieds.
La part qui ne peut être ravie à Dieu, c'est cette attitude de Jésus
agenouillé devant ses amis, avec son linge autour des reins, et qui
frotte leurs pieds empoussiérés. C'est
un geste d'hospitalité car Jésus accueille à sa table, cette
« Table (qui) n'a ni sens ni goût sans l'agenouillement aux
pieds du frère » (François Cassingena). Le mouvement du
service est le seul capable d'attester aux yeux de Jésus la grandeur du
Dieu qui se donne en sa personne. À ce moment précis, Dieu commence à
nous être révélé dans sa vérité : un Dieu qui s'anéantit aux pieds
de ceux qu'il est venu servir et non rendre serviles. Ce geste piétine
la représentation que nous avons de Dieu : sa toute-puissance
céleste s'incline à ras de terre. « Comment la dignité divine n'est-elle pas profanée et bafouée si Dieu prend ainsi la place des serviteurs ? »
se demandait Maurice Zundel. L'amour de Dieu se
« sacramentalise » dans l'amour du frère va-nu-pieds.
« Un pied près de mon cœur » (Rimbaud) : l'enveloppe
charnelle fût-elle la moins amène n'est jamais le terme de la
rencontre, elle est une porte battant sur l'infini dans la vibration de
l'immatériel. Ce lavement n'est plus une purification mais une participation :
« Si je ne te lave pas, dit Jésus à Pierre, tu ne pourras rien
partager avec moi. » L'accueil de la Parole conduit à la mise en
jeu du corps jusqu'au bout, c'est-à-dire jusqu'à la mort. Il faudra le
chant d'un coq pour que Pierre comprenne ceci : la vérité d'un
corps se conjugue à l'oblatif, jamais au possessif. Le sens du lavement
des pieds, c'est le geste du don porté par la parole de Dieu et portant
jusqu'à la mort. C'est le corps, entre Parole et mort. C'est le mime de
la mort du corps devenant parole de vie. C'est l'amour à mort. Par cet
acte, Jésus révèle l'identité du Dieu qu'il est : le Dieu qui
s'abaisse pour que l'homme puisse grandir. Mais il révèle aussi ce que
doit être l'attitude chrétienne. Ce geste, témoignage au milieu du
monde, engendre la communauté à son identité. Il n'est d'autre livrée
ecclésiale que la tenue de service. Laver
les pieds, baiser le lépreux, couvrir l'homme nu, panser la chair de
l'homme agonisant en sont les seuls signes distinctifs.