La renaissance du temps

Lee Smolin

Sommaire résumés de livres

Morceaux choisis

Les lois évoluent dans le temps.

Comment un électron "sait-il" qu'il est un électron, de sorte que l'équation de Dirac plutôt qu'une autre équation s'applique à lui ? Comment un quark "sait-il" quelle sorte de quark il est et ce que devrait être sa masse ? Comment une entité intemporelle, telle qu'une loi de la nature, parvient-elle à se faufiler à l'intérieur du temps pour agir sur chaque électron du monde ?

Je trouve les écrits de Bohr fascinants mais pas convaincants. Je ressens la même chose à propos de certains théoriciens contemporains, qui disent que la mécanique quantique ne porte pas sur le monde physique, mais sur l'information que nous avons sur le monde physique.[…] Après tout, quelque chose se passe lors d'une expérience individuelle. Quelque chose, et seulement ce quelque chose, est la réalité que nous nommons électron ou photon. Ne devrions pas être capables de saisir l'essence de l'électron individuel dans un langage conceptuel et un cadre mathématique ? Peut-être qu'il n' y a aucun principe garantissant que la réalité de chaque processus subatomique dans la nature doit être compréhensible des êtres humains et exprimable en langage ou en mathématique. Mais ne devrions-nous pas au moins essayer ? Alors je me range aux côtés d'Einstein. Je crois qu'il existe une réalité physique objective et que quelque chose qu'on peut décrire se produit quand un électron saute d'un état d'énergie atomique à un autre. Et je cherche une théorie qui en donne cette description.

Mais une théorie à variables cachées est possible, si elle viole la relativité de la simultanéité.

C'est une ligne de pensée qui a conduit Barbour et ses amis à proposer qu'il n'est pas raisonnable de comparer les tailles des objets distants les uns des autres. Ce que vous pouvez faire est comparer les formes, parce que les formes ne sont pas sujettes aux même types de modifications arbitraire. La seule exception à la relativité de la taille est que le volume de tout l'univers, à tout instant, doit rester inchangé.[…] Le volume peut toujours changer au cours du temps, bien sûr, quand l'univers grandit avec l'expansion.

Ce concept de "combien de micro-états pourrait donner le même macro-état" nous donne une façon d'expliquer en quoi les immeubles de Ghery sont si révolutionnaires. Ce concept porte un nom, l'entropie. L'entropie d'un immeuble est une mesure du nombre de manières différentes d'assembler ses éléments pour réaliser le dessin de l'architecte. Un immeuble standard en briques a une entropie très élevée. Un immeuble de Frank Gehry peut avoir une entropie de zéro, correspondant à un unique micro-état.

Nous voyons à partir de cet exemple que l'entropie est l'inverse de l'information. Il faut beaucoup plus d'informations pour spécifier le design d'un immeuble de Gehry, car vous devez décrire exactement comment fabriquer chaque constituant et où exactement l'installer. Il faut beaucoup moins d'informations pour spécifier le design d'un immeuble de briques normal parce que nous n'avons besoin de connaître que les dimensions de ses murs.

Ce que la thermodynamique nous apprend est que presque toute solution des lois de la physique décrit un univers en équilibre, car, par définition, l'équilibre est composé des configurations les plus probables. Une autre implication de l'équilibre est qu'une solution typique des lois est symétrique par rapport au temps – au sens que les fluctuations locales vers un état plus ordonné sont tout aussi probables que des fluctuations vers un état moins ordonné. Faire défiler le film à l'envers nous donne une histoire aussi probable et en moyenne aussi symétrique par rapport au temps. Nous pouvons dire qu'il n'y a, globalement, pas de flèche du temps.

Notre univers ne ressemble pas le moins du monde à ces solutions typiques des lois. Même aujourd'hui, plus de 13 milliards d'années après le big-bang, notre univers n'est pas en équilibre. Et la solution qui décrit notre univers est asymétrique par rapport au temps. Ces propriétés sont extraordinairement improbables, si la solution qui décrit notre univers a été choisie au hasard.

La question de savoir pourquoi l'univers est intéressant et en apparence le devient de plus en plus, nous oblige à nous demander pourquoi la seconde loi de la thermodynamique n'a pas encore réussi à randomiser l'univers en équilibre thermique, en dépit des milliards d'années où semble-t-il, elle aurait eu tout le loisir de le faire.

Le signe le plus évident que notre univers n'est pas en équilibre thermique est qu'il y a une flèche du temps. Le flot du temps est marqué par une forte asymétrie: nous nous sentons et nous observons comme voyageant du passé vers le futur.

A l'équilibre il n'y a pas de telle flèche du temps. A l'équilibre, l'ordre peut augmenter seulement temporairement, via des fluctuations aléatoires. Ces excursions hors de l'équilibre, en moyenne, se ressemblent qu'on aille dans un sens du temps ou dans l'autre. Si vous filmez les mouvements des atomes dans un gaz à l'équilibre et que vous faites le film passer dans l'autre sens, vous seriez incapable de dire quel film est la version originale et quel film a été monté à l'envers. Notre univers n'est pas comme ça.

La flèche du temps très marquée que nous voyons à l'œuvre dans notre univers réclame une explication, car les lois fondamentales de la physique sont temporellement symétriques. Toute solution à leurs équations possède son double, une solution qui se comporte juste comme la première mais avec le film monté à l'envers (en ajoutant la subtilité que la gauche et la droite doivent être échangées, et que les particules sont remplacées par des antiparticules). Ainsi, les lois fondamentales ne seraient plus violées si certaines personnes rajeunissaient effectivement pendant que nous vieillissons[…]

Pourquoi ces choses là ne se produisent-elles jamais? Et pourquoi ces asymétries temporelles sont-elles toutes orientées dans le même sens – vers le désordre croissant ? Ceci est parfois appelé le problème de la flèche du temps.

Il existe en fait plusieurs flèches du temps dans notre univers.

L'univers est en expansion et non en contraction. Nous appelons cela la flèche du temps cosmologique.

De petits morceaux de l'univers, laissés à eux-mêmes, tendent à devenir de plus en plus désordonnées avec le temps. Ceci s'appelle la flèche du temps thermodynamique.

Les gens, les animaux, et les plantes sont nés comme des bébés, grandissent, vieillissent, puis meurent. On peut ici parler d'une flèche du temps biologique.

Nous faisons l'expérience du temps qui s'écoule du passé vers le futur. Nous nous rappelons le passé mais pas le futur. Ceci est la flèche du temps de l'expérience.

Il en existe une autre – moins évidente que les flèches précédentes mais dont il existe néanmoins un indice important. La lumière voyage du passé vers le futur. Par conséquent, la lumière qui atteint nos yeux nous donne à voir le monde dans son passé, jamais dans son futur. Ceci s'appelle la flèche électromagnétique du temps.

Les ondes de la lumière sont produites par le mouvement de charges électriques. Agitez une charge et de la lumière s'en échappera, s'éloignera en voyageant toujours dans le futur, jamais dans le passé. Ceci semble s'appliquer aux ondes gravitationnelles .Ainsi, il ya une flèche du temps des ondes gravitationnelles.

Notre univers semble contenir de nombreux trous noirs. Un trou noir est très asymétrique par rapport au temps. Tout peut tomber à l'intérieur, mais la seule chose à en sortir est le rayonnement thermique de Hawking. Un trou noir est un dispositif qui peut avaler n'importe quoi et en faire un du gaz de photons à l'équilibre. Ce processus irréversible produit beaucoup d'entropie.

Mais qu'en est-il des trous blancs ? Ces objets hypothétiques sont des solutions de la relativité générale obtenus en reversant la direction du temps dans les trous noirs. Les trous blancs se comportent comme le contraire des trois noirs. Rien ne peut tomber dans un trou blanc, mais n'importe quoi pourrait en sortir. Un trou blanc pourrait avoir l'allure d'une étoile apparaissant spontanément, exactement ce que nous verrions si nous projetions à l'envers le film montrant une étoile qui s'effondre pour former un trou noir. Les astronomes n'ont rien vu qui puisse être interprété comme un trou blanc.

Pourquoi n'y a-t-il que des trous noirs et aucun trou blanc ? Et pourquoi l'univers n'a-t-il pas commencé rempli de trous noirs ? Il semble qu'une flèche du temps des trous noirs nous soit signalée par l'absence de trou noir dans la jeunesse de l'univers.

La flèche du temps électromagnétique peut aussi être expliquée par les conditions initiales temporellement asymétriques. Aux débuts de l'univers, il n'y avait pas d'ondes électromagnétiques. La lumière ne fut produite que plus tard grâce au mouvement de la matière. Ceci explique pourquoi, lorsque nous regardons autour de nous, les images qu'apporte la lumière nous renseignent sur la matière dans l'univers. Si nous nous cantonnions aux seules lois de l'électromagnétisme, il pourrait en être autrement. Les équations de l'électromagnétisme permettent à l'univers d'avoir commencé avec de la lumière qui se déplace librement. Autrement dit, la lumière aurait pu se former directement lors du big-bang plutôt que d'avoir été émise par la matière ultérieurement. Dans un univers comme cela, toutes les images des objets que la lumière nous a apportées seraient noyées dans la lumière nous arrivant directement du big-bang.

Les systèmes qui se tiennent par la gravitation se comportent de cette manière bizarre. Les étoiles, les systèmes stellaires, les galaxies, et les trous noirs sont tous anti-thermodynamiques. Ils se refroidissent lorsque vous y injectez de l'énergie. Ceci veut dire que tous ces systèmes sont instables. Les instabilités les conduisent loin de l'uniformité et stimulent la formation de structures dans l'espace et le temps.

Ceci est directement en rapport avec le fait que l'univers ne soit pas à l'équilibre 13,7 milliards d'années après ses origines. La structure et la complexité croissantes qui caractérisent l'histoire de l'univers sont expliquées dans une large mesure par le fait que les systèmes gravitationnellement liés qui le remplissent, des amas de galaxies au étoiles, sont anti-thermodynamiques.

Il est facile de comprendre pourquoi de tels systèmes sont anti-thermodynamiques. Deux caractéristiques fondamentales différentient la gravitation des autres forces: la force gravitationnelle est de longue portée et universellement attractive. Considérons une planète en orbite autour d'une étoile. Si vous y mettez de l'énergie, elle se déplacera vers une orbite plus loin de l'étoile, où elle ira plus lentement. Ainsi, injecter de l'énergie décroît la vitesse de la planète, et ceci abaisse la température du système – parc e que la température est juste la vitesse moyenne des choses dans le système. A l'inverse, si vous prélevez de l'énergie au système solaire, la planète doit réagir en tombant plus près de l'étoile, où elle se déplacera plus vite. De ce fait, prélever de l'énergie chauffe le système.

John Archibald Wheeler avait coutume d'écrire ses équations de physique sur un tableau noir, de se reculer, puis de dire:" maintenant je vais frapper dans mes mains et un univers va voir le jour." Bien sûr, cela ne se produisait pas. Stephen Hawking a demandé, dans une brève histoire du temps, "Quelle est cette chose qui insuffle la vie à ces équations et fabrique l'univers qu'elles auront à décrire ?"  De telles anecdotes révèlent l'absurdité de la vision que les mathématiques précèdent la nature. Elles n'ont pas la pouvoir de générer. Une autre façon de dire cela est que les conclusions en mathématiques sont poussées par l'implication logique, alors que dans la nature les événements sont générés par des processus causaux opérant dans le temps.

La logique et les mathématiques saisissent certains aspects de la nature, mais jamais la totalité de la nature. Il y a des aspects de l'univers réel qui ne seront jamais représentables en mathématiques ? L'un d'eux est que dans le monde réel il y a toujours un instant particulier.

 

Le temps est une illusion. La vérité et la réalité sont intemporelles.

Le temps est l'aspect le plus réel de notre perception du monde. Tout ce qui est vrai et réel est tel à un moment de temps qui est une succession d'instants.

L'espace et la géométrie sont réels.

L'espace est émergeant, et une approximation.

Les lois de la nature sont intemporelles et inexplicables, en dehors d'une sélection par le principe anthropique.

Les lois de la nature évoluent dans le temps et peuvent être expliquées par leur histoire.

Le futur est déterminé par les lois de la physique agissant sur les conditions initiales de l'univers.

Le futur n'est pas totalement prédictible, et de ce fait partiellement ouvert.

L'histoire de l'univers est, dans tous ses aspects, identique à un certain objet mathématique.

De nombreuses régularités dans la nature peuvent être modélisées par des théories mathématiques. Mais toute propriété de la nature n'a pas son reflet dans les mathématiques.

L'univers est spatialement infini. Les prédictions probabilistes sont un problème, parce qu'elles aboutissent à prendre le quotient de deux grandeurs infinies.

L'univers est spatialement fini. Les probabilités sont des fréquences relatives ordinaires.

La singularité initiale est le début du temps (dans le cas où l'on définit le temps) et est inexplicable.

Le big-bang est en réalité un rebond qui doit être expliqué par l'histoire de l'univers précédent.

Notre univers observable est l'un d'une collection infinie d'univers existant simultanément mais non observables.

Notre univers est une étape dans une succession d'ères de l'univers. Les fossiles, ou les reliques, d'ères antérieurs pourraient être observées dans les données cosmologiques.

L'équilibre est l'état naturel et le destin inévitable de l'univers.

Seuls de petits sous-systèmes de notre univers parviennent à l'équilibre uniforme; les systèmes gravitationnellement liés évoluent vers des configurations structurées hétérogènes.

La complexité et l'ordre observés sont un accident aléatoire dû à de rares fluctuations statistiques.

L'univers s'auto-organise naturellement vers des niveaux

de complexité croissante, pilotés par la gravitation.

La mécanique quantique est la théorie finale et l'interprétation correcte est qu'il y a une infinité d'histoires alternatives se produisant réellement.

La mécanique quantique est une approximation d'une théorie cosmologique inconnue.

 

Pour dépasser la distinction entre le naturel et l'artificiel et établir des systèmes qui soient les deux, nous devons nous situer au cœur du temps.

Pourquoi y 'a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Je ne peux songer à rien qui pourrait servir de réponse à cette question, encore moins de réponse confortée par des éléments de preuves. Même la religion échoue ici, car si la réponse doit être "Dieu", alors il y avait quelque chose ( Dieu, en l'occurrence – pour commencer. Ou si le temps n'a pas de début, toutes les causes sont repoussées dans un passé infini ? ) N'y a-t-il aucune raison finale aux choses ? Ce sont de vraies questions, mais si elles ont des réponses, ces dernières risquent de rester à jamais en dehors du champ de la science.