C'est une chose étrange à la fin que le monde
Jean d'Ormesson
D'où venons-nous ? Notre existence a-t-elle un sens ? Dieu
existe-t-il ? Jean d'Ormesson a choisi le titre d'un poème de Louis
Aragon comme celui de son ouvrage pour nous faire part de ses
réflexions sur ces
sujets. A travers le récit du Vieux et du fil du labyrinthe, l'auteur
nous interpelle sur les actions et pensées des hommes au cours de
l'histoire et sur la place de Dieu dans celle-ci. Le livre se lit
facilement et très vite. La dernière phrase du livre nous donne, à mon
avis, l'opinion de Jean d'Ormesson sur LA grande question.
Morceaux choisis
S'ils se croient capables, eux tous, et surtout lui de
comprendre quoi que ce soit à l'espace et au temps, ils se trompent
cruellement. Et ils se tromperont toujours.
L'histoire est une nécessité aléatoire. Son avenir m'appartient. Son
sens est un mystère. Et seule la fin du temps éclairera ce mystère.
Diderot: "Tous les êtres circulent les uns dans les autres. Tout est en
un flux perpétuel. Tout animal est plus ou moins homme, tout minéral
est plus ou moins plante, toute plante est plus ou moins animal. Il n'y
a qu'un seul individu, c'est le tout."
D'où vient l'ordre ? D'où vient la beauté ? Personne n'ôtera de la tête
de beaucoup d'êtres humains l'idée que le monde est un projet en oeuvre
et qu'en dépit de tant de mal et tant de souffrances il garde un sens
caché.
Dans le coeur des hommes il y a un élan vers autre chose qu'un savoir
qui ne suffira jamais à expliquer un monde dont la clé secrète est
ailleurs.
Ce qui m'est ôté par Darwin m'est rendu par Einstein.
Ah les malins ! Comme ils savent mettre en scène la pièce
que j'ai écrite ! Et le pire est qu'il leur arrive de siffler l'auteur.
Il y en a même pour prétendre que l'auteur n'existe pas et que la pièce
s'est écrite toute seule.
Einstein: "Il faut prêter beaucoup d'attention à la mécanique
des quantas. Mais une voix intérieure me dit que ce n'est pas le vrai
Jacob. La théorie apporte beaucoup, mais du mystère du Vieux elle nous
rapproche à peine. En tout cas, je suis persuadé que le Vieux ne joue
pas aux dés."
"Dieu est mort" signé Nietzche. "Nietzche est mort" signé Dieu.
Il n'y a pas de formule du monde.
Chacun d'entre nous, avec notre corps, nos pensées, nos passions, nos
sentiments, est le plus improbable de tous les mécanismes qui aient
jamais été assemblés dans ce monde ou dans un autre.
Faut-il voir dans ce temps qui a fabriqué l'univers et qui n'existe pas
comme la signature sur ce monde d'une puissance qui lui serait
extérieure ?
Dieu n'est pas une expérience de physique. Dieu n'est pas une équation.
Jouons carte sur table: j'ai du mal à croire que, réglé avec tant de
rigueur, si évidemment fait pour durer, emporté par un temps d'une
subtilité et d'une complication extrêmes et qui est le mystère même,
l'univers n'ait aucun sens.
La science accepte volontiers l'idée que des règles si strictes sortent
du néant et finissent dans le néant, que la vie de ces hommes capables
de comprendre l'ordre des choses s'achève par une mort absurde et que
cet univers si sévèrement structuré en chacune de ses composantes,
n'ait pas le moindre sens dans sa totalité.
Chacun de nous est le chaînon d'une chaîne qui nous dépasse de très
loin.
Une puissance inconnue qui est autre chose que l'ensemble des hommes
veille sur la marche de l'histoire et, au-delà de leur histoire, sur
l'espace et le temps.
Cette vie étrange et brève m'a été indulgente. Je l'ai
beaucoup aimée. Je me suis longtemps demandé qui je devais remercier.
Ce livre est destiné à régler la question.