De Jésus à Jésus en passant par Darwin
Christian de Duve
Après avoir rappelé les éléments de sa vie qui ont été déterminants dans sa carrière – éléments dus au hasard selon lui – Christian de Duve livre ses craintes à propos de l'avenir de l'humanité et le remède adéquat. Il nous livre également ses convictions les plus profondes. C'est un livre accessible qui se lit très facilement où l'on découvre une réflexion remarquable.
Morceaux choisis
Ce n'est qu'au terme de ce long périple que j'ai posé, pour la première fois, en 2002, la question cruciale "Et Dieu dans tout cela ?".
C'est le récit d'une révélation qui m'est venue soudainement à la relecture d'un article que j'ai écrit pour un quotidien belge en février 2011: "Sommes-nous condamnés par nos gènes ?".
Le patrimoine génétique de l'humanité ne s'est pas grandement modifié depuis les jours où nos ancêtres poursuivaient une existence précaire au coeur de l'Afrique.
Ce qui a changé, c'est la composition des groupes. Ce sont moins des familles, des tribus, des clans, que des associations plus vastes d'individus unis par l'ethnie, le territoire, la nation, l'appartenance politique, la langue, la culture, la religion, soit tout ce qui est susceptible d'unir contre.
La gauche se dresse contre la droite, les Wallons contre les Flamands, les Laîcs contre les croyants, les chrétiens contre les musulmans, les autochtones contre les alochtones etc...
Nos gènes n'ont pas changé, ou à peine. En revanche les pouvoirs qu'ils nous ont permis d'acquérir et les responsabilités qui en découlent sont incommensurablement supérieurs à ceux de nos ancêtres il ya cent mille ans.
Faut-il changer nos gènes ? Certainement pas. Nous ne saurions pas quels gènes supprimer ni par quels gènes les remplacer. Notre seul espoir réside dans ce que l'on appelle l'épigénétique. Ce qui s'ajoute à la génétique après la conception.
Une révélation. C'est ici que j'arrive à la conclusion imprévue de ce long voyage. Le hasard, encore lui. Alors que je relisais mon évocation africaine, une pensée m'est soudainement venue à l'esprit. Le sage dont notre monde a besoin a bel et bien existé. C'était il y a deux mille ans. Ce sage, il se nomme Jésus.
Ce que Jésus enseigne est exactement ce qu'il faut pour contrecarrer les méfaits de la sélection naturelle et sauver l'humanité de la perte à laquelle ses gènes la condamnent.
Lorsque Jésus dit "Aimez-vous les uns des autres" il ne prône pas seulement la solidarité au sein d'un groupe égoïste en concurrence avec d'autres groupes, il s'adresse à l'ensemble de l'humanité. Le prochain qu'on doit aimer est n'importe quel autre être humain.
Jésus compte indubitablement parmi les rares sages susceptibles d'aider les humains à surmonter leur fardeau génétique et à se libérer du joug de la sélection naturelle. Il y en a d'ailleurs peut-être d'autres tels Bouddha ou Confucius mais ils ont moins d'influence sur le monde occidental.
D'où viendra l'initiative ? L'idéal serait que celle-ci parte du sommet et atteigne l'ensemble des fidèles par le biais des infrastructures puissantes des églises. Ce serait de loin la solution la plus simple, mais elle est peu réaliste dans la Chrétienté d'aujourd'hui.
La réforme ne peut venir que de la base. Clercs et Laïcs, croyants et libre penseurs de toute obédience doivent non pas effacer leur différence, ce qui serait impossible, mais chercher ensemble, au-delà de ce qui les divise, et avec le concours du plus grand nombre possible de philosophes, de moralistes, de scientifiques et d'autres penseurs unis par l'honneteté intelectuelle, un énoncé du message de Jésus adapté aux conditions actuelles et sur lequel ils pourraient se mettre d'accord.
Ce message doit contenir des directives pour nous délivrer de notre pêché originel génétique.
Jusqu'à preuve du contraire, je crois que tous les êtres vivants connus, y compris les humains, descendent par évolution d'une forme ancestrale unique.
Après transcription de la totalité du texte en ARN, un extraordinaire processus de couper-coller excise les introns et lit les exons pour constituer le vrai message.
Mon maître en discipline intelectuelle a été Réné Descartes. Ne rien admettre qui ne soit prouvé d'une manière irréfutable.
Certains scientifiques n'hésitent pas à affirmer des convictions qui vont au delà de ce qui est scientifiquement démontré ou démontrable. Comme l'athéisme militant de Richard Dawkins ou de Steven Weinberg. La science ne peut pas démontrer l'inexistence de Dieu, pas plus d'ailleurs que son existence.
Je ne crois pas aux miracles et à la magie. Là où des connaissances manquent je suis tenté de rester plus ouvert.
Cette attittude n'est pas sans danger car elle peut être exploitée par cette frange influente d'intelectuels dit spiritualistes qui, sous prétexte que la science n'explique pas tout, défendent des théories scientifiquement inacceptables tel que le dessein intelligent et d'autre formes de finalisme.
Parmi les problèmes qui continuent à défier les efforts des scientifiques il n'en est probablement pas de plus ardu que le fonctionnement du cerveau.
Lorsque Francis Crick affirme "vous n'êtes rien d'autre qu'un paquet de neurones" il a sans doute raison mais il n'explique en rien comment ce paquet de neurones génère le phénomène mystérieux que nous appelons conscience, qui échappe à toute caractérisation objective.
Il est vrai que certains ordinateurs dépassent de loin notre cerveau en performance, tout comme les moteurs accomplissent des travaux dont nos muscles sont totalement incapables. Toutefois, les ordinateurs, au même titre que les moteurs, ne sont que des outils inventés par notre cerveau.
Aussi longtemps que nous ne comprendrons pas le fonctionnement de notre machine cérébrale je crois que certaines spéculations restent permises y compris l'hypothèse, rejetée vigoureusement par la plupart des neurobiologistes, que des phénomènes physique inconnus sont en jeu. Peut-être faudra-t-il un cerveau plus puissant que le nôtre pour en pénétrer le fonctionnement.
A ce propos, ce qui me frappe particulièrement, c'est la taille du cerveau humain par rapport à celui d'un chimpanzé. Le facteur est de quatre. C'est en même temps beaucoup et peu. Beaucoup si l'on songe que ce quadruplement s'est fait en quelques millions d'années alors qu'il a fallu cent fois plus de temps pour passer d'une demi-douzaine de neurones d'une méduse primitive au cerveau du dernier ancêtre que nous avons en commun avec le chimpanzé.
Cette remarquable accélération du développement cérébral au cours de l'hominisation pose un des problèmes les plus redoutables de l'évolution.
Devant ce fait, on se prend à rêver à ce qu'un nouveau quadruplement ou même une augmentation beaucoup plus modeste de la masse cérébrale chez certains de nos lointains descendants pourrait engendrer comme capacités nouvelles.
De la philosophie, je ne retiendrais qu'un seul point: mon refus de tout dualisme.
Mon objection au dualisme cartésien n'est en rien idélogique ou physiologique: elle est logique. Si matière et esprit sont d'essence différente, comment interragissent-ils ? Il doit y avoir nécessairement entre les deux une entité qui participe aux deux essences. Un adaptateur branché d'un côté sur la matière, et de l'autre sur l'esprit. De quelle nature est cet adapteur ?
Pour moi, matière et esprit ne sont pas des entités différentes. Ce sont deux facettes d'une même réalité. Le dualisme cartésien doit faire place au monisme.
Un autre dualisme qui me pose problème est celui qui fait la distinction entre le Dieu créateur et son oeuvre. D'où vient le Créateur ? Soit il a été lui-même créé ce qui ne peut que mener à une interminable poupée russe de créateurs successifs , soit comme l'affirment les théologiens, il est incréé. Il est. Dans ce cas, pourquoi introduire la notion purement anthropomorphique, celle de l'horloger d'un créateur ? Pourquoi ne pas considérer l'univers comme étant lui même incréé, comme étant la seule et ultime réalité ?
C'est la thèse défendue par Spinoza dont la doctrine est connue sous le nom de panthéisme.
Je me tiens à l'écart du principe anthropique et préfère me contenter de ma position moniste.
On ignore toujours comment la vie est née tout comme on ignore d'innombrables détails concernant son évolution.
La Bible n'est pas un traité de philosophie ou de théologie, ni un compte-rendu historique. C'est une oeuvre poétique qui exprime dans le langage de l'époque la réaction de ses auteurs à l'égard du l'Ultime Réalité telle qu'elle a été appréhendée par les prophètes.
L'art est porteur de l'émotion. En musique, c'est la même chose.
Le succès évolutif de l'espèce humaine est proche du point de non retour. Il est devenu une menace mortelle pour le devenir de l'humanité et pour celui d'une bonne partie du monde vivant.
Jésus ne connaissait pas Darwin ni toutes les découvertes de la biologie moderne, mais il connaissait la nature humaine et il identifié correctement la faille dont celle-ci est affectée, s'élévant au-dessus de tout ce qui divise. Il a prôné l'amour.