La particule de Dieu - Jim Baggott
Sommaire résumés
de livres
Jim Baggott raconte la genèse du boson de Higgs
depuis sa prédiction en 1964 jusqu'à sa découverte en 2012 dans le LHC
du CERN. On découvre comment s'est effectuée la course à la
découverte entre les Européens et les Américains. Le livre va très loin
dans les détails scientifiques et historiques. Il est passionnant.
Morceaux choisis
Pour Platon les atomes (la substance) composent les
quatre éléments (les formes). Il identifiait chacun de ces éléments à un solide
géométrique (dit "de Platon"), et alléguait dans le timée que les
faces de chaque solide pouvaient en dernier ressort se décomposer en systèmes
de triangles, représentant les atomes constitutifs des éléments. En
réarrangeant les motifs de triangles – les atomes – il devenait possible de
convertir un élément en un autre et de combiner plusieurs d'entre eux pour
produire de nouvelles formes.
La masse n'est pas une propriété intrinsèque ou une
qualité "primordiale" des composants élémentaires ultimes de la
nature. En réalité, il n'existe rien de tel. La masse dérive entièrement de
l'énergie des interactions mettant en jeu des particules élémentaires
naturellement dénuées de masse.
Lorsque Paul Dirac combina en 1927 la mécanique quantique
avec la théorie de la relativité restreinte d'Albert Einstein, une nouvelle propriété
vit le jour: le spin de l'électron.
Il s'avère que chaque orbitale d'un atome contient deux
électrons – et seulement deux (principe d'exclusion de Pauli 1925). Dans le cas
contraire, la fonction d'onde d'un état mixte quelconque, composés de deux
électrons ou plus, serait nulle. Dans une orbitale atomique, cela implique
qu'un électron doit exhiber une orientation spin-haut et l'autre une
orientation spin-bas. Leurs spins doivent être appariés.
Einstein montra que la matière (la masse) n'est pas conservée
– elle peut être convertie en énergie.
1905 "l'inertie d'un corps dépend-elle de son
contenu en énergie ?" Einstein avait compris que E=mc² signifiait en
réalité m=E/c²: la masse inertielle est tout simplement une autre forme
d'énergie.
Dans la QED (quantum electrodynamics ou électrodynamique
quantique) développée en 1948 par Richard Feynman, Julian Schwinger et
Sin-Itiro Tomonaga, les forces d'attraction et de répulsion entre des
particules électriquement chargées sont transportées par des particules
médiatrices (photon virtuel dans le cas de l'interaction d'électrons).
La matière (sous la forme de substance matérielle) n'est
pas conservée, mais la masse-énergie l'est. Quoi que nous fassions, nous ne
pouvons créer ou détruire de l'énergie. Nous pouvons seulement la convertir
sous une autre forme. Dans toutes les interactions physiques concevables,
l'énergie est conservée.
Il en est de même pour la quantité de mouvement et le
moment cinétique.
Noether déduisit que l'on pouvait ramener les principes
de la conservation des quantités physique au comportement des lois les
décrivant grâce à l'application de certaines transformations continues de
symétrie. Les lois de conservation ne sont que des manifestations des symétries
profondes de la nature.
Le théorème de Noether associe chaque loi de conservation
à une transformation continue de symétrie. Elle remarqua que les lois qui
régentent l'énergie sont invariantes en cas de changements ou translations
continus dans le temps. Cela signifie que ces lois ne s'altèrent pas avec le
temps. Si les lois décrivant l'énergie ne varient pas dans le temps, alors
l'énergie doit être conservée.
Concernant la quantité de mouvement, Noether découvrit que les lois associées sont
invariantes lors de translations spatiales continues.
Concernant le moment cinétique, les lois sont invariantes
lors de transformations de symétrie par rotation.
Il y avait effectivement une quantité physique qui
semblait rigoureusement conservée mais dont les lois idoines restaient à découvrir.
C'était la charge électrique.
Or les équations de Maxwell traitent des champs générés
par la charge électrique, non de la charge elle-même.
Hermann Weyl médita sans relâche sur le théorème de
Noether et travailla sur la théorie des groupes de transformation continue de
symétrie que l'on appelle les groupes de Lie, d'après le mathématicien
norvégien du XIXème siècle Sophus Lie. En 1918, il parvint à la conclusion que
les lois de conservations sont associées à des transformations locales de
symétrie qu'il baptisa symétries de jauge.
Il était désormais possible d'établir la connexion. Le
groupe de symétrie U(1) est un exemple de groupe de Lie, se référant au groupe
unitaire des transformations d'une variable complexe. Il concerne les
transformations de symétries qui sont, à de nombreux égards, entièrement
analogues à des rotations continues circulaires. Mais tandis qu'un cercle est
contenu dans un plan bidimensionnel formés de dimensions réelles, les
transformations du groupe de symétrie U(1) se rapportent à des rotations dans
un plan complexe bidimensionnel, dont l'une est multipliée par i.
Une autre manière de représenter ce groupe de symétrie
fait appel aux transformations continues de l'angle de phase d'une onde
sinusoïdale. Des angles de phase différents correspondent à des amplitudes
distinctes de l'onde dans son cycle pic-creux. La symétrie de jauge de Weyl est
préservée si les changements de phase de la fonction d'onde de l'électron
s'accompagnent de changements dans le champ électromagnétique qui l'escorte. La
conservation de la charge électrique peut se ramener à la symétrie locale de la
phase de la fonction d'onde électronique.
Le physicien néerlandais Kramers proposait de considérer
la self-énergie de l'électron comme une contribution supplémentaire à sa masse.
Nous disposions enfin d'une théorie entièrement
relativiste de la QED qui prédisait avec une exactitude et une précision
ahurissantes les résultats expérimentaux. La QED prévoit que le facteur de
Landé de l'électron vaut 2,00231930476. La valeur expérimentale correspondante
s'élève à 2,00231930483.
A l'instar de la théorie de l'électromagnétisme de
Maxwell, la QED est une théorie de jauge U(1) dans laquelle la symétrie locale
de phase U(1) de la fonction d'onde de l'électron est associée à la
conservation de la charge électrique.
Toute l'attention se portait désormais sur une théorie
quantique des champs de l'interaction forte entre les protons et les neutrons
du noyau. Si une théorie quantique des champs de l'interaction forte devait
être découverte, nous devions d'abord lever un coin du voile sur ce qui était
précisément conservé dans cette force et ce à quoi était relié la
transformation continue de symétrie.
Le physicien chinois Chen Ning Yang était persuadé que la
quantité conservée dans les interactions nucléaires mettant en jeu la force
forte était l'isospin.
Lorsque le neutron fut découvert en 1932, il était
naturel de supposer que c'était une particule composite constituée d'un proton
et d'un électron.
Malgré ses imperfections, le modèle de Heisenberg
recelait au moins une partie de la vérité. L'échange des électrons entre neutrons
et protons fut abandonné mais le concept d'isospin conservé. A partir du moment
où la force forte est à l'œuvre, le proton et le neutron sont essentiellement
deux états de la même particule, à l'instar des deux orientations du spin de
l'électron. L'unique différence réside dans leur isospins respectifs.
Les isospins individuels des protons et des neutrons
peuvent s'additionner pour former un isospin total, un concept que le physicien
Eugene Wigner introduisit pour la première fois en 1937. La littérature sur les
réactions nucléaires semblait soutenir l'idée que l'isospin total est conservé,
de même que la charge électrique est conservée dans les processus physiques et
chimiques. Yang identifia alors l'isospin comme une symétrie de jauge locale, à
l'image de la symétrie de phase de la fonction d'onde dans la QED, et se lança
dans la quête d'une théorie quantique des champs qui la préserverait.
Dans la QED, les changements de phase, dans l'espace et
le temps, de la fonction d'onde de l'électron sont contrebalancés par des
changements correspondants dans le champ électromagnétique. Le champs
"repousse" de sorte que la symétrie de phase est conservée. Mais une
nouvelle théorie quantique des champs de la force forte devait considérer que
deux particules étaient désormais en jeu. Si la symétrie d'isospin doit être
conservée, cela implique que l'interaction forte ne fasse aucune différence
entre le proton et le neutron. La modification de la symétrie d'isospin, par
exemple la "rotation" d'un neutron en un proton, exige par conséquent
un champ qui repousse pour faire en sorte de restaurer la symétrie. Yang et
Mills introduisirent un nouveau champ, qu'ils baptisèrent le champ
"B", uniquement voué à cette fin.
Le groupe de symétrie élémentaire U(1) ne suffit pas pour
ce type de complexité, Yang et Mills en arrivèrent donc à considérer le groupe
de symétrie SU(2), le groupe spécial unitaire des transformations de deux
variables complexes. Un groupe de symétrie plus vaste est requis uniquement
parce qu'il y a dorénavant deux objets qui peuvent se transformer l'un l'autre.
Ce formalisme invoquait également l'existence de trois
nouvelles particules médiatrices, responsables de la transmission de la force
forte entre les protons et les neutrons au sein du noyau, homologues du photon
de la QED. Deux d'entre elles devaient emporter une charge électrique pour
rendre compte du changement de charge résultant des interactions
protons-neutrons et neutrons-protons. Yang et Mills appelaient ces particules
B+ et B-. La troisième particule était neutre, comme le photon, et devait être
la marque des interactions proton-proton et neutron-neutron qui n'entraînent
pas de modification de la charge. Elle fut appelée B°. On s'aperçut que ces
particules médiatrices interagissent non seulement avec les protons et les
neutrons, mais également entre elles.
"Quelle est la masse de ce champ B ?" demanda
Pauli à Yang
"Je ne sais pas." répondit Yang
Yang :"notre inclination nous porte à croire, sur la
base d'arguments physiques que les particules de jauge chargées ne peuvent être
dénuées de masse".
Yang et Mills en 1954: "Nous en arrivons à la
question de la masse du quantum [B], pour laquelle nous n'avons aucune réponse
satisfaisante".
Fermi: "jeune homme, si je pouvais mémoriser les
noms de toutes ces particules, j'aurais été botaniste."
ell-mann soutenait que, quelle qu'elle soit, l'étrangeté
est conservée dans les interactions fortes, de même que l'isospin.
Lors d'un processus impliquant une particule ordinaire
(non étrange), la production d'une particule étrange ayant une étrangeté de +1
devait s'accompagner d'une autre particule étrange d'étrangeté -1, de sorte que
l'étrangeté totale soit conservée. C'est pour cette raison que les particules
tendent à être produites par paires.
La conservation de l'étrangeté expliquait également
pourquoi les particules étranges mettent tant de temps avant de se désintégrer.
Une fois qu'elles sont créées, la transformation inverse de chaque particule
étrange en une particule ordinaire ne peut se faire par le truchement de la
force forte, celle-ci étant censée agir rapidement, parce que cela aurait
introduit un changement d'étrangeté ( de +1 ou -1 à 0). Par conséquent, les
particules étranges patientent assez longtemps avant de succomber à la force
faible, qui, elle ne respecte pas la conservation de l'étrangeté.
Personne ne savait pourquoi.
Glashow avait désormais trois particules massives,
vectrices de la force faible, équivalentes au triplet des particules B
introduites pour la première fois par Yang et Mills. Ce furent les W+, W- et
Z°.
La voie octuple. Gell-Mann découvrit qu'il pouvait
agencer les baryons, dont le neutron et le proton, et les mésons en deux
représentations octales du groupe de symétrie globale SU(3). Or il n'y avait
que sept particules dans la représentation des mésons. L'une d'elles, le méson
équivalent au ᴧ°, manquait à l'appel. Celle-ci fut découverte quelques
mois plus tard par Luis Alvarez et son équipe de Berkeley. Ils la baptisèrent
êta, η.
Le physicien d'origine anglaise Jeffrey Goldstone avait
également étudié la brisure de symétrie et en avait conclu qu'elle implique
l'existence d'une autre particule sans masse.
Ces nouvelles particules dénuées de masse devinrent les
bosons de Nambu-Glodstone.
La voie octuple peut subtilement s'expliquer par les
diverses combinaisons possibles de quarks up, down et étrange.
C'est alors que parurent une série d'articles décrivant
des mécanismes de brisure spontanée de symétrie dans lesquels, les divers
bosons sans masse "s'annulent mutuellement", ne laissant que des
particules massives. Ce mécanisme est communément désigné par mécanisme de
Higgs.
La courbe de l'énergie potentielle du champ de Higgs est
subtilement différente (par rapport à celle d'un pendule pesant). A la place de
l'angle d'écartement, nous traçons la variation ou grandeur du champ lui-même.
Vers le bas de la courbe réside une petite bosse (haut d'un sombrero). La
présence de cette bosse impose à la symétrie d'être brisée. A mesure que le
champ refroidit et perd de son énergie potentielle, il choit aléatoirement, à
l'instar du crayon qui tombe, vers une vallée de la courbe (celle-ci est en
réalité tridimensionnelle). Or cette fois, le point le plus bas de la courbe
correspond à une valeur non nulle du champ. Les physiciens l'identifient à une
valeur non nulle attendue pour le vide. Cela représente un "faux"
vide, au sens où il n'est pas complètement vide – il contient des valeurs non
nulles du champs de Higgs.
La brisure de symétrie crée un boson de Nambu-Goldstone
sans masse.
Un boson sans masse se déplace à la vitesse de la lumière
et possède uniquement deux "degrés de liberté" tranversaux:
gauche/droite (x) et haut/bas (y). En interagissant avec le champ de Higgs, la
particule absorbe un boson de Nambu-Goldstone sans masse, contractant ainsi un
troisième degré de liberté – avant/arrière (z). En conséquence, la particule
acquiert une "profondeur" puis ralentit. Cette résistance à
l'accélération constitue la masse de la particule.
Dans le mécanisme de Higgs, se voir octroyer la
tridimensionnalité revient à être freiné. La particule ralentit en fonction de
ses interactions avec le champ de Higgs.
Le photon n'interagit pas avec le champ de Higgs et
poursuit son mouvement à la vitesse de la lumière. Il demeure sans masse.
Les interactions de la particule avec le champ se
manifestent sous la forme d'une résistance à l'accélération.
La masse inertielle d'une objet est une mesure de sa
résistance à l'accélération. Notre premier réflexe est d'identifier la masse
inertielle à la quantité de substance qu'un objet possède. Plus il contient de
" matière", plus il est difficile à accélérer. Le mécanisme de Higgs
prend précisément le contre-pied de cette logique. Nous interprétons dorénavant
la grandeur de la résistance à l'accélération de la particule, due au champ de
Higgs, comme étant la masse (inertielle) de celle-ci.
Higgs ajouta également un paragraphe final au texte
principal dans lequel il portait l'attention sur l'éventualité de
"multiplets incomplets de bosons scalaires et vecteurs", une
référence assez sibylline à la possibilité de l'existence d'un autre autre
boson massif de spin nul, la particule quantique du champ de Higgs.
Celle-ci sera finalement baptisée le "boson de
Higgs".
En 1964, Higgs avait fait allusion à la possibilité de l'existence
d'un boson de Higgs, mais sans une quelconque relation à une force ou une
théorie spécifique. Dans sa théorie électrofaible, Weinberg avait jugé
nécessaire un champ de Higgs ayant quatre composantes. Trois d'entre elles
étaient responsables de la masse des particules W+, W- et Z°. La quatrième
devait se manifester sous la forme d'une particule physique – le boson de
Higgs.
Outre les charges fractionnaires absurdes, il y avait un
autre gros problème avec le modèle des quarks. Comme les constituants des
"particules de matière" tels que les protons et les neutrons, les
quarks devaient être des fermions, de spin demi-entier. Cela signifie que,
selon le principe d'exclusion de Pauli, les hadrons ne pouvaient héberger plus
d'un quark dans chaque état quantique possible.
Or le modèle des quarks affirmait que le proton devait
être constitué de deux quarks up et d'un quark down. Cela revenait à soutenir
qu'une orbitale atomique pouvait accueillir deux électrons de spin-haut et un
de spin-bas. C'était tout bonnement impossible. Les propriétés de symétrie des
fonctions d'ondes de l'électron l'interdisaient. Il ne pouvait y avoir que deux
électrons, un de spin-haut et l'autre de spin-bas. Il n'y avait pas de place
pour un troisième larron. De la même manière, si les quarks étaient des
fermions, il ne pouvait y avoir de place pour deux quarks up dans le proton.
En septembre 1972, Gell-Mann et Fritzsch avaient élaboré
un modèle constitué de trois quarks de charge fractionnaire qui pouvaient
emprunter trois "saveurs" – up, down et étrange – et trois couleurs,
liés ensemble grâce à un système de huit gluons de couleurs, les médiateurs de la
"force de couleur" forte.
Les théoriciens n'avaient jamais été aussi proches de la
grande synthèse: une combinaison de théories quantiques des champs basée sur
une symétrie SU(3) x SU(2) x U(1) – qui deviendra par la suite le Modèle
standard.
Lorsqu'un électron heurte un proton, trois types
distincts d'interactions peuvent se produire. L'électron peut rebondir de
manière assez nette sur le proton, en échangeant un photon virtuel, ce qui
modifie la vitesse et la direction de l'électron mais laisse intactes les particules.
Cette diffusion "élastique" produit des électrons dont les énergies
relativement importantes et dispersées se regroupent autour d'un pic.
Dans une deuxième sorte d'interaction, la collision avec
l'électron peut entraîner l'échange d'un photon virtuel qui pousse le proton
dans un ou plusieurs états excités d'énergie. L'électron diffusé s'éloigne par
conséquent avec une énergie plus basse, et un graphique de l'énergie diffusée
en fonction du nombre exhibe une série de pics ou "résonances"
correspondant à différents états excités du proton. Cette diffusion est
"inélastique" car de nouvelles particules (telles que des pions)
peuvent être créées, même si l'électron et le proton ressortent indemnes de
cette interaction. En résumé, l'énergie de la collision et du photon virtuel
échangé est transférée dans la création de nouvelles particules.
Dans le troisième type d'interaction, nommé diffusion
"profondément inélastique", la majeure partie de l'énergie de
l'électron et du photon virtuel échangé sert à détruire complètement le proton.
Une avalanche de différents hadrons est produite et l'électron diffusé recule
alors avec une énergie considérablement plus faible.
En 1974, les courants neutres faibles devenaient une
réalité expérimentale fermement établie.
Mais les conséquences de cette découverte étaient d'une
portée encore plus considérable. Les courants neutres faibles impliquaient
l'existence de "photons lourds" responsables de la transmission de la
force faible.
Or si nous ne décelions aucun courant neutre dans la
désintégration des particules étranges, ce devait être à leur élimination par
le mécanisme GIM.
Autrement dit, il devait exister un quatrième quark.
Lorsque nous tentons d'imaginer la nature d'une
interaction gouvernée par une force en tre particules, nous avons tendance à
faire le lien avec des exemples tels que la gravité ou l'électromagnétisme, où
la force croît en intensité à mesure que les particules se rapprochent l'une de
l'autre. Or la force nucléaire forte ne se comporte pas de la sorte. Elle
présente ce que nous appelons une liberté asymptotique. Dans la limite
asymptotique d'une distance nulle entre deux quarks, ces particules ne
ressentent aucune force et cont complètement "libres". A mesure que
leur éloignement augmentent au-delà de la frontière du nucléon, cependant, la
force forte resserre son étreinte et maintient fermement leur cohésion.
Cela nous donne l'impression que les quarks sont
solidement attachés aux extrémités d'un élastique robuste.
La nouvelle théorie avait besoin d'un nom. Gell-Mann la
baptisa QCD ou chromodynamique quantique.
Mais alors que la liberté asymptotique peut expliquer
pourquoi les quarks n'interagissent que très faiblement au cœur des hadrons,
elle ne justifie en rien leur confinement.
Lorsque la corde de charge de couleur se brise, les
énergies en jeu sont suffisantes pour invoquer la création spontanée de paires
quarks-antiquark à partir du vide. Ainsi, retirer un quark de l'intérieur de
son nucléon hôte, par exemple, ne peut se faire sans créer dans le même temps
un antiquark qui s'accouplera instantanément avec lui pour former un méson, et
un autre quark qui prendra sa place au sein du nucléon. Finalement, l'énergie
est canalisée dans la création spontanée d'un méson, et aucun quark individuel
ne peut être observé. Le quark n'est donc pas confiné pour toujours, mais nous
ne pouvons jamais l'observer sans qu'il soit accompagné d'un partenaire.
La masse conjointe de deux quarks up et un quark down
devrait tourner autour de 6,5 MeV – 12,6 MeV. Ainsi, d'où provient le reste de
la masse du proton qui vaut expérimentalement 938 MeV ? De l'énergie des champs
de gluons cloîtrés dans celui-ci.
"L'inertie d'un corps dépend-elle de son contenu en
énergie ? " interrogeait Einstein en 1905. La réponse est oui. Environ 99%
de la masse des protons et des neutrons représente l'énergie emportées par les
gluons sans masse qui assurent la cohésion des quarks. "La masse, une
propriété apparemment irréductible de la matière, synonyme de sa résistance au changement
et de sa lourdeur", écrivit Wilczek, "est le reflet d'une hamonieuse
communion entre la symétrie, l'incertitude et l'énergie."
La découverte du mécanisme de Higgs en 1964 avait montré
comment ces bosons peuvent acquérir leur masse. Weinberg et Salam avaient poursuivi
en appliquant le mécanisme de Higgs à la brisure de symétrie électrofaible en
1967-1968. La théorie résultante s'était révélée renormalisable en 1971.
Désormais, nous venions de découvrir les médiateurs de la force faible,
précisément là où nous les attendions.
L'existence avérée des particules W et Z avec les masses
prédites procurait une preuve suffisamment convaincante du fait que la théorie
électrofaible SU(2) x U(1) est fondamentalement exacte. Or, si elle est juste,
les interactions avec un champ omniprésent d'énergie (le champ de Higgs)
deviennent responsables de l'attribution d'une masse aux médiateurs de la force
faible. Et si le champs de Higgs existe, alors il doit en être de même du boson
de Higgs.
Le boson de Higgs acquiert sa masse par ce qu'on appelle
des "corrections à n boucles", qui prennent en compte ses
interactions avec des particules virtuelles. Les corrections à n boucles
mettant en scène des particules massives telles qu'un quark top virtuel
procurent au Higgs une masse beaucoup plus importante que celle requise pour
briser la symétrie électrofaible de la manière qu'on lui imposait. On prévoit
en conséquence que la force faible doit être nettement plus faible qu'elle ne
l'est réellement.