Un songe
Le laboureur m'a dit en songe : "Fais ton pain
Je ne te nourris plus : gratte la terre et sème."
Le tisserand m'a dit : "Fais tes habits toi-même."
Et le maçon m'a dit : " Prends la truelle en main."
Et seul, abandonné de tout le genre humain
Dont, je traînai partout l'implacable anathème,
Quand j'implorai du ciel une pitié suprême,
Je trouvais des lions debout sur mon chemin.
J'ouvris les yeux, doutant si l'aube était réelle ;
De hardis compagnons sifflaient sur leurs échelles.
Les métiers bourdonnaient, les champs étaient semés.
Je connus mon bonheur, et qu'au monde où nous sommes
Nul ne peut se vanter de se passer des hommes,
Et depuis ce jour-là, je les ai tous aimés.
René François Sully Prudhomme (1839-1907)